La jeune fille à la perle de Vermeer : histoire et mystères
Quand Johannes Vermeer a achevé son tableau en 1665, il ne se doutait probablement pas qu'il venait de créer l'une des images les plus énigmatiques de l'histoire de l'art.
Par Artedusa
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La jeune fille à la perle de Vermeer : histoire et mystères
Quand Johannes Vermeer a achevé son tableau en 1665, il ne se doutait probablement pas qu'il venait de créer l'une des images les plus énigmatiques de l'histoire de l'art. La jeune fille à la perle, ce portrait qui vous suit du regard quelle que soit votre position dans la salle, continue de fasciner le monde entier plus de trois siècles après sa création.
Qui était Johannes Vermeer ?
Dans le Delft du XVIIe siècle, un peintre travaillait lentement, méticuleusement, produisant à peine deux ou trois tableaux par an. Johannes Vermeer (1632-1675) n'a peint que 34 œuvres dans sa vie entière. Chacune est un miracle de lumière, de couleur et de silence.
Vermeer appartenait au siècle d'or néerlandais, cette période extraordinaire où des artistes comme Rembrandt et Frans Hals redéfinissaient la peinture. Mais contrairement à ses contemporains qui produisaient en masse, Vermeer choisissait la perfection plutôt que la quantité. Il mourut criblé de dettes, oublié, ses toiles dispersées. Il faudra attendre le XIXe siècle pour qu'on redécouvre son génie.
L'histoire du tableau, de l'oubli à la gloire
La jeune fille à la perle a connu un destin rocambolesque. Après la mort de Vermeer, le tableau disparaît dans l'obscurité pendant près de deux siècles. En 1881, un collectionneur l'achète pour une bouchée de pain lors d'une vente aux enchères à La Haye. Deux florins. Le prix d'un repas.
Le tableau était en piteux état, noirci par le vernis, méconnaissable. Mais celui qui l'a acquis a vu quelque chose. Cette jeune fille qui se retourne, cette perle qui capte la lumière, ce bleu profond du turban. En 1902, le Mauritshuis de La Haye l'achète, et le tableau trouve enfin sa maison permanente.
Aujourd'hui, la jeune fille à la perle attire plus de 400 000 visiteurs par an. On la surnomme "la Mona Lisa du nord", et ce n'est pas sans raison.
La technique de Vermeer, un maître de la lumière
Regardez attentivement les lèvres de la jeune fille. Vermeer n'a pas dessiné leur contour. Il a simplement posé des touches de rose et de blanc, créant une illusion parfaite de volume et de douceur. Cette technique, proche de l'impressionnisme avant l'heure, est la signature de Vermeer.
Le peintre utilisait probablement une camera obscura, ancêtre de l'appareil photo, pour étudier les effets de lumière. Cela explique cette qualité photographique, cette manière dont la lumière semble vibrer sur le visage de la jeune fille.
Le bleu du turban est un outremer fait de lapis-lazuli broyé, une pierre plus précieuse que l'or à l'époque. Vermeer ne lésine pas. Il superpose les couches, créant cette profondeur, cette richesse qui fait que le bleu semble presque lumineux.
Et cette perle. Elle n'est constituée que de deux touches de peinture : une blanche, une autre translucide. Pourtant, elle brille, elle pèse, elle existe. C'est du génie pur.
Qui est cette mystérieuse jeune fille ?
Voilà la question qui hante les historiens de l'art depuis plus d'un siècle. Qui est-elle ?
Tracy Chevalier, dans son roman "La jeune fille à la perle" (1999), imagine qu'elle s'appelle Griet, une servante de la maison Vermeer. Le film qui a suivi, avec Scarlett Johansson, a ancré cette histoire dans l'imaginaire collectif. Mais c'est de la fiction.
La vérité ? Nous ne la connaissons pas. Plusieurs théories s'affrontent. La fille de Vermeer peut-être, l'artiste avait 15 enfants après tout. L'un d'eux aurait pu poser. Maria, sa fille aînée, avait environ 13 ans en 1665. Ou alors un simple tronie, ces études de visages typiques de l'art néerlandais du XVIIe siècle, souvent idéalisées, sans modèle précis. Peut-être aussi une commande d'un riche marchand pour sa fille ou sa femme.
Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas un portrait formel. Le fond est noir, abstrait. La jeune fille porte un costume exotique qui ne correspond à aucune mode néerlandaise. Ce turban, ces vêtements, cette perle : tout est théâtral, intemporel.
Pourquoi ce tableau fascine-t-il autant ?
Il y a dans ce regard quelque chose d'insaisissable. La jeune fille se retourne vers nous, les lèvres entrouvertes comme si elle allait parler. Mais elle ne dit rien. Elle nous fixe, à la fois innocente et consciente, timide et audacieuse.
C'est cette ambiguïté qui nous captive. Contrairement à la Mona Lisa dont le sourire est énigmatique, ici c'est l'instant qui est suspendu. On a l'impression d'avoir interrompu quelqu'un, d'avoir appelé son nom, et qu'elle se tourne vers nous. Mais que va-t-elle dire ? Que pense-t-elle ?
Le psychologue néerlandais Dolf Verroen a analysé les expressions faciales du tableau et conclut que la jeune fille exprime 12 émotions différentes selon l'angle et l'éclairage. Surprise, sérénité, mélancolie, attente... Le visage change, vit, respire.
La perle, symbole et signification
Dans la peinture néerlandaise du XVIIe siècle, les perles ont une signification particulière. Elles représentent la pureté, la virginité, mais aussi la vanité et l'éphémère. Dans l'emblématique hollandaise, une perle peut symboliser l'âme humaine.
Cette perle précise est presque trop grosse pour être réelle. Elle pend à l'oreille de la jeune fille comme une larme de lumière. Certains historiens pensent qu'il s'agit d'une perle baroque, déformée, ce qui était très prisé à l'époque. D'autres suggèrent qu'elle est en verre, ce qui était courant pour les bijoux de théâtre.
Mais Vermeer ne nous donne aucun indice. La perle brille, point final. Elle attire notre œil, crée un point focal, équilibre la composition. C'est un détail qui transforme un tronie ordinaire en chef-d'œuvre absolu.
Restaurations et controverses
En 1994, le Mauritshuis a entrepris une restauration majeure du tableau. Les restaurateurs ont travaillé pendant six mois sous les yeux de milliers de visiteurs, dans une salle vitrée spécialement aménagée.
Ils ont découvert que le fond noir n'était pas d'origine. Vermeer avait peint un fond vert sombre qui avait noirci avec le temps et les restaurations précédentes. Sous les couches de vernis, ils ont retrouvé des couleurs plus vives, plus lumineuses.
En 2018, une nouvelle campagne d'analyse scientifique, appelée "Girl in the Spotlight", a révélé des détails fascinants. Des techniques d'imagerie avancées ont montré que Vermeer a modifié la position de la perle, qu'il a repensé le turban, qu'il cherchait constamment la perfection.
On a aussi découvert que les cils de la jeune fille ont presque entièrement disparu à cause de restaurations trop agressives au XIXe siècle. Un drame pour les puristes, mais qui n'enlève rien à la magie du tableau.
L'impact culturel, d'une œuvre d'art à une icône mondiale
La jeune fille à la perle est devenue bien plus qu'un tableau. C'est une icône de la culture pop.
Le roman de Tracy Chevalier s'est vendu à des millions d'exemplaires dans le monde entier. Le film de 2003 avec Scarlett Johansson a été nominé aux Oscars. Des artistes contemporains réinterprètent l'image en graffiti, en pop art, en photographie.
En 2014, le street artist Banksy a créé une version où la jeune fille porte une alarme de sécurité à l'oreille au lieu de la perle. Une critique mordante du marché de l'art et de la sur-sécurisation des musées.
Sur Instagram, le hashtag #GirlWithAPearlEarring compte des centaines de milliers de publications. Les visiteurs du Mauritshuis recréent la pose, avec leur propre "perle". Le tableau est devenu un mème, un filtre Snapchat, un costume d'Halloween.
Cette popularité moderne témoigne d'une vérité : l'art de Vermeer transcende les époques. Ce qui touchait les Hollandais du XVIIe siècle nous touche encore aujourd'hui.
Visiter la jeune fille à la perle au Mauritshuis
Si vous voyagez aux Pays-Bas, le Mauritshuis de La Haye est un passage obligé. Le musée lui-même est un bijou : un palais du XVIIe siècle, intime et élégant, aux antipodes des grands musées intimidants.
La jeune fille à la perle a sa propre salle. Vous pourrez vous tenir à quelques mètres d'elle, observer chaque coup de pinceau, voir comment la lumière joue sur la perle. C'est une expérience que les reproductions, aussi bonnes soient-elles, ne peuvent pas égaler.
Le musée organise régulièrement des expositions temporaires autour de Vermeer et du siècle d'or néerlandais. Après avoir contemplé la jeune fille, vous pourrez découvrir d'autres trésors : Rembrandt, Frans Hals, Jan Steen.
Pour visiter, l'adresse est Plein 29, 2511 CS La Haye. La réservation en ligne est recommandée, le tarif tourne autour de 16 euros (gratuit pour les moins de 18 ans). Le musée est moins bondé en semaine, tôt le matin.
Les autres chefs-d'œuvre de Vermeer
Si la jeune fille à la perle vous a ému, vous devez découvrir les autres Vermeer. Malheureusement, ils sont dispersés dans le monde entier.
La laitière au Rijksmuseum d'Amsterdam montre une servante qui verse du lait dans un silence presque religieux. La lumière sur le pain, sur le mur, est d'une beauté à couper le souffle. Vue de Delft, également au Mauritshuis, est le seul paysage urbain de Vermeer. Marcel Proust disait que c'était "le plus beau tableau du monde".
Il y a aussi la jeune femme à la perle, oui, il y a un autre tableau avec une perle au Mauritshuis. Celui-ci montre une femme de profil, dans un intérieur bourgeois typique de Vermeer. Et puis l'art de la peinture au Kunsthistorisches Museum de Vienne, où Vermeer se représente peut-être lui-même en train de peindre. Un manifeste sur l'art et la création.
Visiter ces tableaux, c'est faire un pèlerinage artistique. Chacun est un monde en soi.
L'éternelle jeunesse d'un chef-d'œuvre
Plus de 350 ans après sa création, la jeune fille à la perle continue de nous interroger, de nous émouvoir, de nous fasciner. Elle incarne ce paradoxe de l'art : être à la fois figée dans le temps et éternellement vivante.
Vermeer a capturé un instant, un regard, une lumière. Mais ce qu'il a vraiment peint, c'est le mystère de l'humanité elle-même. Cette jeune fille, nous ne saurons jamais qui elle était. Et c'est précisément parce que nous ne le savons pas qu'elle peut être n'importe qui. Elle peut être nous.
Chaque génération redécouvre ce tableau et y projette ses propres questions, ses propres rêves. C'est ça, la marque d'un véritable chef-d'œuvre : non pas de donner des réponses, mais de continuer à poser des questions.
Alors la prochaine fois que vous verrez cette image, sur un poster, une couverture de livre ou dans un musée, prenez un moment. Regardez-la vraiment. Laissez-vous capturer par ce regard. Et demandez-vous : qu'est-ce qu'elle essaie de me dire ?
Peut-être que Vermeer, dans son atelier poussiéreux de Delft, a peint quelque chose de bien plus grand qu'un simple portrait. Il a peint un pont entre les siècles, un dialogue silencieux qui ne finira jamais.
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